Cours de danse Danser la Vie - Toulouse

Cours de danse Danser la Vie - Toulouse

● L'Art et la Physique

L'Art et la Physique
par Taliat TARSINOV (Traduction Isabelle REYJAL)
Dance News - Le Bulletin Fédéral FFD n° 23 - Juillet 1997 (01/07/1997)

 

La plupart des gens trouvent passionnantes les expositions de voitures anciennes, de téléphones anciens, de gramophones, ou d'autres vieilleries du même type. La plupart de ces objets ont été fabriqués voici quarante ou cinquante ans, et faisaient l'orgueil de nos grands-mères et de nos grands-pères. Aujourd'hui ces objets semblent des reliques de l'âge de pierre.

Chacun de ces articles inspire tout à la fois de l'amusement sincère et un peu de compassion, ce qui se comprend facilement. Si vous montez aujourd'hui dans une voiture moderne, vous pouvez accélérer jusqu'à des vitesses encore inouïes il y a quelques années. Vous mettez en marche votre stéréo, en même temps que l'air conditionné, et en appuyant sur un simple bouton vous téléphonez à votre épouse pour voir s'il faut acheter quelque-chose pour le dîner.

Dans cinquante ans nos petits-enfants s'amuseront des « merveilles » technologiques qui nous entourent aujourd'hui. Tout ce qui n'est accessible aujourd'hui qu'à un petit nombre de personnes sera demain possédé par le plus grand nombre, et sera pièce de musée après-demain.

A propos de pièces de musée, plutôt qu'un étalage d'objets démodés, jetons un coup d'oeil dans les galeries du Metropolitan Museum à New York. On y trouve de nombreuses antiquités : sculptures, vases, bijoux fabriqués il y a plusieurs milliers d'années. Bizarrement, lorsqu'on examine ces antiquités, on n'est plus ni amusé ni condescendant, mais plutôt ému et charmé. Chaque objet d'art de ce musée est encore beau aujourd'hui. Cette beauté-là n'a pas d'âge. Elle inspire le même plaisir que les oeuvres d'un musée d'art moderne. On ne peut pas dire que l'art de Dali ou de Picasso ait « progressé » par rapport à celui de Rembrandt, ou que le génie de Kandinsky ou de Chagall soit supérieur à celui de Léonard de Vinci. Alors, comment se fait-il que la science et la technologie aient fait des progrès gigantesques en plusieurs milliers d'années, mais que l'art soit resté égal à lui-même ?

Les efforts de beaucoup de monde, sur plusieurs générations, sont nécessaires pour affermir les progrès technologiques. Si l'on se réfère à la notion de progrès, chacun des niveaux successifs est supérieur à celui qui le précède. La magie de l'art réside en ce qu'il est le contraire de l'évolution technologique. L'artiste exprime sa personnalité et ses passions au travers de l'oeuvre d'art : un tableau, un poème ou une danse. Son message artistique est transmis à tous ses contemporains et quelquefois à tous ceux qui viendront des milliers d'années après lui. C'est ainsi que la légendaire Anna Pavlova, des Ballets Russes, n'utilisait pas tous ces artifices modernes des
ballerines d'aujourd'hui ; mais ce qu'elle a légué est bien autre chose que la somme arithmétique de ces artifices étourdissants - c'est sa « Mort du Cygne ».

Quel est le rapport de tout ceci avec la danse sportive ? La danse sportive, c'est un sport, une activité de compétition. Sans aucun doute, elle a des composantes techniques, qui s'améliorent au fil des années. Les danseurs deviennent plus robustes, plus rapides, etc. Mais c'est le côté artistique de la danse sportive qui la rend vivante et spectaculaire, et qui émeut notre
sensibilité.

Le processus d'évolution pour les danseurs consiste principalement à améliorer ses performances techniques. Nous perfectionnons les techniques de travail de pieds, ou les extensions du swing corporel, - tout ceci pour nous démarquer, sur la piste, parmi les autres compétiteurs, et pour persuader les juges que notre maîtrise technique est supérieure. Deux, trois minutes, c'est tout ce dont dispose un juge pour déterminer le niveau technique des compétiteurs, et pour sélectionner, mettons douze couples sur vingt-quatre pour le prochain tour. C'est pourquoi la maîtrise technique est l'un des principaux critères d'évaluation des couples.

Tous ce qui peut être défini comme « bon » ou « mauvais » dans une danse, autrement dit, tout ce qui obéit à de certainesnormes physiques et techniques, peut faire l'objet de comparaisons et de jugements. Mais comment évaluer le contenu artistique (à supposer que cela soit même possible) ? L'art ne se plie pas aux règles et aux définitions, et toute polémique à propos de ce qui est « bon » ou « mauvais » devient vaine.

Avez-vous remarqué combien, dans un même instant, les expressions de visages des juges et du public peuvent être différentes ? Le visage tendu d'un juge qui scrute chaque couple, qui inspecte les pieds des danseurs ; qui fait des vérifications, de côté ou de dos. On est quelquefois tenté d'offrir une loupe à certains juges particulièrement attentifs. Qu'est-ce qu'ils sont donc en train de chercher dans les pieds des danseurs ? Une formule magique d'art ? Non, juste des principes techniques !

Les visages du public reflètent toujours de l'émotion. Le public aime ou n'aime pas. Ce qui focalise son attention se base sur le fait que le couple soit ou non agréable à regarder d'un point de vue esthétique. Les gens qui ont eu l'occasion d'être tour à tour juges et spectateurs savent combien il est différent psychologiquement d'assister à une danse lorsqu'on fait partie du public et d'évaluer cette même danse lorsqu'on est juge. Cela se vérifie régulièrement, lorsque le classement des juges ne correspond pas à celui de l'assistance.

Dans un musée, vous pouvez apprécier aussi bien Matisse que Renoir. Les techniques diffèrent - Matisse, c'est l'intensité de la couleur et les larges coups de pinceau. Le pinceau de Renoir ne fait qu'effleurer la toile par touches légères comme la plume ! Mais ces divergences de techniques ne vous perturbent pas, - vous vous contentez de vous émerveiller devant le génie humain.

En danse sportive, la position d'un juge est très différente. Il est confronté à une tâche : choisir les meilleurs. Comment choisir un couple plutôt qu'un autre au cours d'une fmale, si tous les couples sont d'un haut niveau technique ? Tel couple a le meilleur travail de pieds au sol, tel autre est exceptionnellement rythmique et musical, un troisième est capable d'avoir une vitesse fantastique. Le critère de
« maîtrise technique » n'est plus suffisant et il faut prendre en compte la présentation, le style, l'apparence et l'image, en d'autres termes, les qualités artistiques de la danse. Dans ce cas les juges doivent faire confiance à leur « sens de la beauté » personnel, et décider, avec leur coeur plutôt qu'avec leur cerveau, qui est le meilleur.

En tant que danseurs, nous avons également le choix entre l'Art et la Physique. Ce choix dépend de notre décision de danser pour nous-mêmes, pour les juges ou pour le public. La conscience d'être jugé, le plus souvent, nous incite à démontrer nos capacités techniques. Nous
luttons pour maîtriser des mécanismes de façon impeccable, afm de pouvoir donner libre cours à nos sensations, et apprécier la danse.

Par malheur, il est fréquent que d'excellents danseurs de compétition perdent une partie de leur éclat lorsqu'ils se produisent en démonstration. Cela s'explique par le fait que pendant leurs cours, leurs entraînements, en fait pendant la plus' grande partie de leur carrière, les danseurs perfectionnent des mouvements standardisés et la combinaison de certains grands principes.

Ceci peut conduire à une automatistion de la danse, à la robotisation de la personnalité. En tant que professionnels nous tendons à faire se superposer cette façade artificielle, faite d'apprentissages techniques, avec notre personnalité véritable, mais le public ne le voit pas de cet oeil. Je vais illustrer mon propos par un exemple tiré de ma propre expérience. Au cours d'une prestigieuse compétition, les vainqueurs étaient en train de faire leurs danses d'honneur, démontrant brillamment une technique de premier ordre. Les juges, tous professionnels de danse sportive, appréciaient leur élégante Valse Lente. Cependant, mon voisin dans l'assistance, réputé pour avoir gagné de nombreux trophées dans le milieu du show-business, me fit remarquer, lorsque le couple entama sa deuxième danse - un Fox-Trot -, qu'ils étaient en train de recommencer leur première danse. Je tentai de défendre le couple, attirant l'attention de mon voisin sur la netteté des lignes et le travail de pieds, mais il ne voyait aucune différence, à part la musique.

D'un autre côté, se concentrer sur les effets artistiques sans posséder le niveau technique nécessaire gâche l'impression d'ensemble encore davantage. Je suis toujours navré de voir des gens talentueux courir sans trêve de professeur en professeur pour acquérir des effets visuels, mais non pas les bases fondamentales.

Avec les notions de « maîtrise technique » et d'« expression artistique », viennent à l'esprit certains schémas et clichés, qui peuvent varier en fonction des préférences personnelles, de la maturité, des connaissances, de l'expérience. Nous disons qu'un couple est « technique » Si ses compétences appartiennent au « système normatif ». La position d'un couple pendant une danse, par exemple, doit obéir à certaines proportions géométriques rigides ; si bien que même lorsque les danseurs exécutent les pas les plus fantaisistes, leur position relative reste la même, ce qui démontre un haut niveau de maîtrise technique. Mais ces normes elles-mêmes doivent changer et se moderniser avec le temps, comme pour n'importe quel processus technique.

A l'inverse, les clichés artistique peuvent durer des siècles. Par exemple, l'image de la mère est liée à des concepts de paix, d'amour, d'humanité. Le cliché est identifiable dans toutes les cultures et à toutes les époques. La danse sportive représente sous une forme concentrée les relations entre un homme et une femme. Naturellement, il peut y avoir une variété incalculable de relations entre homme et femme. Pour recréer et exprimer une certaine idée dans l'art chorégraphique, nous utilisons des comportements parmi les plus stéréotypés : en rumba, par exemple, le contact physique des partenaires, les bras qui se tendent vers l'autre, représentent la romance et l'harmonie ; à l'inverse, s'éloigner l'un de l'autre, jeter son ou sa partenaire loin de soi, symbolisent le conflit et l'aggression.

Si un couple obéit aux règles techniques et aux conventions, s'il utilise des schémas d'expression identifiables, il parvient à produire les clichés visuels qu'on attend de lui. Par exemple, l'idéal classique en danses standards pour un couple de champions veut que ce couple soit de haute taille. De même, la danseuse est supposée avoir des plumes sur sa robe, et arborer une coiffure rappelant la Tour Eiffel - plus c'est haut, mieux ça vaut. Qui n'utilise pas cette image à l'heure actuelle ? Ca marche pour tout le monde ! Mais alors, pourquoi arrive-t-il qu'un couple, défiant toutes ces composantes du succès, autrement dit : de petite taille, ne portant pas de plume et optant pour une coiffure désinvolte plutôt que pour une savante architecture capillaire,
puisse tout d'un coup être victorieux ?

Nous pouvons toujours débattre de l'aptitude technique d'un danseur à exécuter tel ou tel mouvement ou pas de danse, mais le fait est que l'art authentique ne se discute pas, même lorsqu'il met à mal nos idées reçues. On est même heureux d'accueillir cette remise en cause des idées conventionnelles. Il y a toujours une demande pour de nouveaux concepts. D'ailleurs, ce qui est nouveau aujourd'hui sera demain une « production de masse », et deviendra plus tard le système de référence.

Cela ne veut pas dire que les clichés et les modèles soient négatifs, bien au contraire. Les normes sont une exigence nécessaire pour la compétition, ce qu'on appelle une base de départ.

Cependant, le succès de la plupart des enseignants renommés se fonde sur un rejet des présentations-types, quelquefois même ils contreviennent même aux archétypes qu'ils ont eux-mêmes incarnés. Les taxer d'incohérence reviendrait à condamner quelqu'un qui préférerait une nouvelle voiture, modernisée, à une voiture ancienne.

En réalité, quelque précise que soit la capacité technique des danseurs, quelque élaborée que soit leur expression, quelque brillante que soit leur apparence, aucun de ces éléments ne suffira à lui seul à leur apporter un succès automatique. Mais tous combinésensemble - peut-être. Est-il possible de déterminer en quelles proportions ces trois éléments contribuent chacun à la victoire ? A mon avis, non. C'est là que survient la question de la personnalité.

En dépit de tous les efforts pour standardiser les danseurs et imposer des règles rigides pour la compétition, la personnalité ne peut pas être stéréotypée ou réduite à l'état de cliché. Par bonheur, on trouve encore des personnalités remarquables parmi les danseurs dans le monde. Quelquefois cependant nous manquons de les discerner derrière toutes ces nonnes et tous ces stéréotypes que nous avons nous-mêmes fabriqués. Très souvent, sur la piste, tous les compétiteurs sont si semblables dans leur technique chorégraphique, leur expression artistique et leur apparence, qu'il faut s'en remettre à la couleur de la robe des danseuses pour les distinguer les uns des autres (puisque tous les danseurs portent cc qu'on pourrait appeler un uniforme) !

Il est incroyablement difficile de marquer son individualité dans is danse sportive d'aujourd'hui, car dus notre apprentissage de la dom nous employons tous les Ouiecs conventions. Le résultat, c'est qu'un nombre croissant de danseurs ne souhaitent pas manifester d'individualité, mais préfèrent être comme tout le monde. C'est tout à fait stupéfiant, si l'on considère combien tous les aspects de la danse sont personnels à chacun d'entre nous. De même que nos corps sont par nature tous différents, de même, nos manières d'exprimer les techniques de danse sont différentes. Ce qui fait la qualité distinctive de notre expression artistique, c'est le fait que notre mental soit unique. Et je n'ai pas besoin de mentionner l'individualité dans l'apparence. S'exprimer par le biais de l'art est un phénomène profondément personnel. Plus on révèle avec authenticité sa personnalité dans l'art, plus fort est le message transmis au public.

Il existe de trop nombreux facteurs qui, au fil d'une carrière artistique, peuvent amener des danseurs à perdre leur personnalité (ou à ne jamais la développer). Il suffit de penser à tous les gens à qui les danseurs essaient de faire plaisir. Les professeurs leur disent continuellement des choses telles que « Débarrasse-toi de cette queue de cheval », ou « La couleur de cette robe est trop terne », ou « Regarde l'image de ces champions. Essaie de faire quelque-chose d'approchant », etc, tout ceci à mesure qu'ils leur enseignent les techniques de danse. On nous présente toujours des idéaux fiables que nous devons nous efforcer d'atteindre.

Je me souviens de plusieurs carrières prometteuses : de nouveaux couples, dotés d'une personnalité brillante, se présentaient tout d'un coup comme menaçants pour les tenants du titre. Tout le monde était sûr qu'ils étaient les futurs champions. Il leur manquait simplement d'améliorer encore un peu leur technique. Mais deux ans
plus tard, il était visible qu'en dépit de l'amélioration manifeste de leur niveau technique, ce qui faisait d'eux un couple à part avait disparu. La banalité est la dernière chose qu'on souhaite voir dans une compétition.

Tous les jours, nous nous entraînons sur notre déhanché de rumba ou sur notre swing de pas-plume en slow-fox, exactement comme une danseuse classique qui s'exerce à la barre ou comme une chanteuse qui vocalise. Cet entraînement a pour but de déboucher sur la création d'un rôle, mettons Giselle pour la première et Carmen pour la dernière. Dans le cas des danseurs de salon, le but est de s'exprimer à travers la danse. C'est ici que la personnalité du danseur arrive au premier plan. La compétition révèle jusqu'à quel point votre personnalité peut captiver le public. Même si certains danseurs utilisent l'image de vedettes telles que Marilyn Monroe, Liza Minelli ou Miichael Jackson, c'est toujours dans l'intention de mieux mettre en valeur ou de mieux refléter leur propre personnalité.

Un acteur peut incarner tous les soirs de nouveaux rôles, mais un danseur de salon ne tient que son propre rôle sur la piste. C'est pourquoi il est nécessaire de ne pas changer votre image d'une compétition sur l'autre comme vous changeriez de costume, mais de conserver ce qui fait votre particularité, parce-que c'est ce qu'on va remarquer. Vos modèles en danse ne changent jamais leur image, pour la raison que tout le monde a envie d'être comme eux,qui mettent l'accent sur ce qui les rend uniques.

Lorsqu'on parle d'individualité en danse de salon, on ne peut s'abstenir de souligner le fait qu'il est question non pas d'une mais de deux personnes - un couple. Ce duo implique deux personnalités se complétant l'une l'autre harmonieusement. Il arrive qu'on voie un couple où une forte personnalité éclipse totalement l'autre, ce qui fait que la deuxième personne du couple est réduite au rôle de repoussoir. Praxitèle, Pygmalion en littérature, le sculpteur mythologique de Grèce antique, a donné la vie à sa créature par la simple vertu de sa passion. Je pense que ce beau thème a inspiré quelques Pygmalions de la danse de salon, qui ont créé leur Galatée. Mais le plus souvent, une « sculpture vivante » ne fait que rehausser le talent de celui (ou celle) qui l'a créée. Le duo idéal est pétri d'harmonie et d'équilibre. Les couples qui synthétisent les composantes d'un duo véritable nous hypnotisent par leur prestation et deviennent des légendes.

Très souvent on appelle un couple par un seul nom, même si on se réfère à deux individus. Dans notre subconscient l'image que nous avons est celle d'une unité indivisible. Quand je parle de duo, j'entends par là la création d'une troisième entité. Le couple ne parvient à ce statut qu' après des années d'efforts communs. Une fois qu'on l'a obtenue, cette unité est très difficile à détruire. L'idée que deux personnalités fortes forment toujours un duo fort ne me paraît pas valable. Il est arrivé très souvent que deux « stars » aient tenté de constituer un nouveau couple et soient finalement retournées à leurs précédents partenaires.

Peut-être certains parmi mes amis ou parmi les gens dont je tiens l'opinion en haute estime ne seront-ils pas d'accord avec moi. C'est même probable, parce-qu'il y a autant de voies de réussite qu'il ya de gens qui pratiquent la danse sportive. Essayer de théoriser des accomplissements techniques et ce que l'on réunit sous le nom d'art, n'enlève rien au talent individuel. Toute tentative pour analyser le talent avec des mots est une tâche noble mais futile. L'artiste prend son pinceau, ou son violon, ou invite sa partenaire à danser, pour la simple raison qu'il lui est impossible d'exprimer ce qu'il ressent d'une manière différente !

 

 



21/08/2013

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